Portrait de femme·Roman·Science-fiction

The Only Ones

Titre: « The only ones »
Auteure: Carole Dibbell
Maison d’édition: J’ai Lu
Format: poche
Genre: roman contemporain, science-fiction
Nombre de pages: 474

Résumé: Dans une Amérique ravagée par les pandémies et l’effondrement de son économie, Moïra, jeune femme sans domicile fixe et sans éducation, survit en vendant son corps. Littéralement. Rognures d’ongles, cheveux, parfois un orteil… Parce qu’elle est une vivace, une personne au génome unique immunisée contre tout agent pathogène, elle intéresse ceux qui sont assez riches et crédules pour se payer ces petits bouts d’elle.
Aussi, quand un laboratoire de recherches lui propose une somme astronomique pour faire d’elle une mère porteuse, Moïra n’hésite pas longtemps. Après tout, ce ne sera pas son enfant. N’est-ce pas ?


Avis: Je n’avais jamais entendu parler ni de l’auteure ni du roman en lui-même avant de commencer « The Only Ones », je l’avais uniquement choisi sur la base du résumé qui, vu le contexte actuel, m’a tout de suite intéressée et intriguée.

Le contexte: les années 2060, les Etats-Unis sont mis à mal par des vagues successives de virus plus dévastateurs les uns que les autres. Il ne subsiste de la société qu’un semblant d’organisation gouvernementale qui tente de juguler les crises quand elles se présentent sans réels moyens, abandonnant la population à son propre sort. Les plus privilégiés vivent au cœur de dômes sécurisés censés les protéger, les autres – la majorité – survivent comme ils le peuvent dans des zones sinistrées où tout manque: vivres, vêtements, moyens transport… Seule une petite frange de la population ne craint pas les virus, on les appelle « les vivaces ». Totalement immunisées ( sans que l’on sache ni pourquoi ni comment ), ces quelques rares personnes ont fait de leur particularité un commerce et vendent des parties de leur corps au plus offrant, souvent depuis leur plus jeune âge. Moïra, l’héroïne du roman est de celles-là.
Elevée jusqu’à ses dix ans à l’abri de l’extérieur par une femme au caractère bien trempé, elle se retrouve après le décès de cette dernière à la merci d’un marchand d’êtres humains sans scrupules auquel elle a fini par échapper. Depuis son quotidien n’est que survie.
Lorsque le livre débute, Moïra vient de s’embarquer dans une nouvelle transaction qui la conduit dans une ferme à l’extérieur de la ville et de sa violence. Persuadée de n’avoir qu’à livrer du matériel à un énième technicien, elle se retrouve malgré elle embarquée dans une trouble histoire de clonage qui va faire d’elle ce qu’elle n’avait absolument jamais songé être: une mère.

Au vu du contexte, je m’attendais naïvement à un roman de science-fiction lambda, à une dystopie de plus reprenant les codes – souvent éculés – du genre. Il n’en est rien.
Le contexte apocalyptique ne sert finalement que de toile de fond. Ce monde blessé qui n’a plus grand chose d’humain a fait de Moïra ce qu’elle est, une jeune femme prête à tout pour survivre, et il donne naissance à des questionnements importants sur la vie en général, le sens qu’elle conserve dans de telles conditions, les relations humaines, les progrès scientifiques en matière de conception assistée et de génétique… mais le propos qui émerge est finalement bien plus subtil et bien plus personnel.
Moïra est un personnage principal très intense. N’ayant reçu que peu d’éducation, son langage est brut ( bourré de fautes grammaticales ), fidèle à ses pensées et sans concessions. Agée de presque 20 ans au début du récit, elle a vécu la moitié de sa vie seule, servant de marchandise aux uns et aux autres. Elle ne connaît donc rien d’autre que l’errance solitaire mais, malgré un parcours pavé de violence où elle a souvent côtoyé l’innommable, c’est une jeune femme intelligente, perspicace et drôle ( elle n’hésite pas à manier l’ironie et le sarcasme ), d’une force et d’une résilience qui inspirent le respect. A l’image de sa façon de s’exprimer elle est à vif et n’hésite pas à tout donner d’elle-même, au propre comme au figuré: son cœur, ses tripes, son courage et ces petits bouts d’elle tant recherchés. Malgré une certaine naïveté – elle ne sait de la vie que ce qu’elle en a expérimenté – elle est parfaitement lucide et ne craint pas de se confronter à la dureté de la réalité.
Lorsqu’elle se retrouve en charge d’un nouveau-né ( son propre clone en l’occurrence ) elle a tout à apprendre. Elle n’a que quelques jours pour découvrir les rudiments avant de replonger dans son quotidien, à deux cette fois. Et cette petit vie qu’elle a en charge change tout. Moïra découvre peu à peu l’inquiétude liée à son nouveau rôle, l’affection, l’attachement, les responsabilités… et son parcours initiatique solitaire devient celui d’une mère en quête d’un meilleur avenir pour son enfant. Elle est en effet bien décidée à offrir à sa fille tout ce à quoi elle-même n’a pas pu avoir accès, quitte à se sacrifier.
C’est bien là toute la richesse de ce roman: on assiste au fil des pages à l’éclosion d’une mère et à la construction d’une véritable relation parent/enfant. L’amour naît au cœur du chaos et l’espoir se fait jour. Tout comme l’héroïne dont il suit les aventures, le lecteur passe par toutes les émotions et se surprend rapidement à s’attacher à ce duo improbable, à se réjouir de ses réussites et à craindre que la violence du monde finisse par l’emporter.
Et du spectacle de cette relation surgit une réflexion touchante et intéressante sur l’identité, la parentalité, le déterminisme, l’influence des facteurs environnementaux… dont il ressort que, quelques soient les circonstances, une famille naît toujours de l’amour, et qu’un enfant – aussi proche de lui soit-on – demeure un individu à part entière, avec sa propre histoire et libre de ses choix.
Dans ce monde au bord de l’abîme où l’impensable est devenu réalité, le cheminement de Moïra et de sa fille ( leurs échanges, leurs rapprochements, leurs confrontations… ) est finalement ce qu’il y a de plus normal.

Bien plus qu’un roman sur ce qui a été perdu, « The Only Ones » est en fait un roman sur ce qui demeure: l’humanité.
Si on peut être désarçonné au début par la plume de l’auteure ( qui a choisi d’écrire comme son personnage principal s’exprime ), il suffit de se laisser porter par les émotions et sensations de Moïra pour vivre une expérience intense et marquante qui nous habite encore longtemps après avoir tourné la dernière page. Cette jeune femme est l’une des héroïnes les plus courageuses et les plus lumineuses que j’ai rencontrées au fil de mes lectures.

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